par Delphine MinouiLe figaro.fr - Des détenues dans la prison d'Evin, au nord de Téhéran, en juin 2006. Fondé sous le règne du chah, l'établissement sert depuis la révolution islamique à enfermer les opposants politiques. Crédits photo : AFP
Encouragés par le candidat malheureux à la présidentielle Mehdi Karoubi, les opposants à Ahmadinejad s'efforcent de témoigner des sévices subis par les contestataires lors de leurs interrogatoires.
Il préfère taire son nom. Pourtant, il veut témoigner, malgré les risques de représailles. «En prison, ils m'ont ligoté les mains et les pieds, ils m'ont battu à mort, puis ils m'ont fait quelque chose qui est un péché même pour les apostats», confie le jeune homme, en allusion au viol subi lors de ses interrogatoires derrière les barreaux de la prison de Kahrizak, au sud de Téhéran.
Publié en début de semaine par Etemad e Melli, le site Internet de Mehdi Karoubi, candidat malheureux à la présidentielle, le récit détaillé de la descente aux enfers de ce manifestant vient confirmer la violence de la répression postélectorale. Il montre, aussi, la volonté des durs du régime d'étouffer ces diverses affaires de sévices. Pas plus tard que mardi, un membre d'une commission d'enquête du Parlement a même déclaré «infondé» ce genre de révélations.
Au-delà de la honte d'avoir été violenté, il y a donc, aussi, l'humiliation d'être accusé de mensonge. Une fois libéré, fin juillet, le jeune homme se réfugie, d'abord, dans le silence le plus total. «Il a fallu de longues journées pour que je me remette, que je retrouve confiance en moi, que j'accepte ce qui s'est passé et que je renonce à l'idée de me suicider», confie-t-il au site iranien. Ayant eu vent des efforts déployés par le réformiste Mehdi Karoubi, il finit par aller lui raconter son histoire. La confiance s'instaure entre les deux hommes. La semaine dernière, ils décident de se voir à nouveau dans le bureau de Karoubi. Mais cette fois-ci, leur discussion est vite interrompue par la visite inopinée de deux représentants du pouvoir judiciaire, accompagnés d'un juge.
Tombes anonymes
S'en suit un interrogatoire musclé de trois heures, truffé de questions embarrassantes. «Ils m'ont interrogé sur le degré de pénétration et m'ont demandé si mon agresseur avait joui… J'étais très perturbé», raconte le jeune homme. En route vers le médecin légiste, il ose alors demander : «Qu'ai-je fait pour mériter un tel traitement ?» L'un de ses interrogateurs lui répond : «Quand le guide suprême déclare qu'il n'y a pas de fraude électorale, alors il n'y a pas de fraude électorale !» Une fois arrivé à la clinique, il comprend que l'examen aura lieu sous le regard policier d'un agent de sécurité. Pendant qu'il attend les résultats, ce dernier le traite de «menteur» et l'accuse «d'avoir déshonoré» sa famille.
À ce jour, seules quatre personnes ont osé, comme lui, franchir le mur de la peur, en confirmant avoir été violées. Selon diverses ONG locales, les chiffres seraient nettement plus élevés. Sans compter les nombreuses victimes ayant succombé à leurs sévices et dont les familles n'osent pas faire mention, les plaintes formulées étant aussitôt utilisées contre elles et contre l'opposition iranienne. Dernier exemple en date du silence forcé qui s'abat sur l'Iran : le responsable du cimetière Behecht-é Zahra démentant l'enterrement de dizaines de victimes de la violence post-électorale dans des fosses non identifiées. Quelques jours plus tôt, le site d'information réformiste Norooznews avait révélé que plus de 40 corps, d'abord congelés dans une «unité de stockage industriel», avaient été inhumés les 12 et 15 juillet dans des tombes dépourvues d'insignes. Selon un bilan officiel, environ 30 personnes auraient péri dans les émeutes qui ont suivi le scrutin du 12 juin. Mais l'opposition parle d'au moins 69 morts, tandis que certains diplomates occidentaux évoquent jusqu'à 300 victimes.
Le scandale des viols s'inscrit dans le bras de fer qui oppose depuis deux mois l'entourage d'Ahmadinejad à ses adversaires réformistes, et qui s'est à nouveau illustré, mardi, par la reprise, à huis clos, du procès collectif des opposants iraniens. Objectif à peine voilé : la volonté de ternir la réputation du courant réformateur, né de l'élection de Mohammad Khatami, en 1997, et de le déclarer hors la loi. À plusieurs reprises, certains ultraconservateurs en ont même appelé au jugement et à l'arrestation des deux principaux rivaux du président réélu, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi. Ce dernier, dont le journal vient de subir les foudres de la censure, a été menacé d'être puni de «quatre-vingts coups de fouet».
De toute évidence, son audace dérange. Il est le premier à avoir dénoncé, fin juillet, «les viols sauvages de filles et garçons emprisonnés». Le guide suprême avait pourtant tenté de calmer le jeu en ordonnant la fermeture de la prison de Kahrizak. Pour Karoubi, ce n'est pas suffisant. Selon son site Web, il envisage déjà de publier d'autres témoignages de victimes.
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